LES LIMITES DE LA RESPONSABILITE DE L’ASSUREUR DOMMAGE-OUVRAGE
Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-11.103
Dans son arrêt inédit rendu le 17 octobre 2019 (Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-11.103), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence constante[1] rejetant la demande de dommages-intérêts présentée par l’assuré à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage à raison des pertes d’exploitation, de la perte locative ou toute autre perte de jouissance subie du fait du retard apporté par cet assureur à l’exécution de son obligation de préfinancement des travaux.
Cette position de la Cour de cassation est explicitée dans l’arrêt rendu le 14 septembre 2017[2] rappelant que « la sanction du non-respect du délai de soixante jours prévus à l’article L. 242-1 du code des assurances était limitative, qu’elle autorisait l’assuré à préfinancer les travaux à ses frais moyennant une majoration de sa créance indemnitaire et qu’elle ne se conjuguait pas avec une cause de responsabilité ».
De même, c’est en raison de l’application stricte des dispositions de l’article L242-1 du code des assurances que dans son arrêt rendu le 19 janvier 2017, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a écarté la majoration du taux d’intérêt légal au regard des dommages immatériels qui ne relèvent pas des garanties d'assurance obligatoires et cela indépendamment du fait qu’une telle garantie avait été souscrite.
Les faits :
En l’espèce[3], l’édification d’une maison d’habitation est confiée à un constructeur de maison individuelle, lequel sous-traite les travaux de gros-œuvre. Une assurance dommages-ouvrage et de la responsabilité décennale du constructeur sont souscrites auprès d’une compagnie. Une garantie de livraison est également délivrée par une caution.
A la suite de l’apparition de désordres après la réception des travaux, le maître d’ouvrage assigne le constructeur, son sous-traitant, les assureurs et la caution en vue d’une indemnisation.
Sur le fondement de l’article L242-1 du Code des assurances, les juges du fond condamnent l’assureur dommages-ouvrage à garantir la caution et le sous-traitant au titre du préjudice immatériel subi par le maître d’ouvrage.
L’article L.242-1 du code des assurances dispose en effet que « les dommages immatériels peuvent être mis à la charge de l'assureur dommages-ouvrage s'ils découlent d'une faute de celui-ci, notamment à défaut d'offre d'indemnisation de nature à mettre fin aux désordres et que, en l'espèce, (l’assureur) ne justifie pas avoir proposé une indemnité destinée au paiement des travaux de réparation des dommages ».
Ce raisonnement est cependant censuré par la cour de cassation au motif que « l'article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l'assureur dommages-ouvrage à ses obligations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
La décision :
Aux termes de la décision commentée, lorsque la responsabilité de l’assureur dommages-ouvrage est recherchée au titre d’un dépassement des délais prévus par l’article L.242-1 du code des assurances, la sanction applicable est cantonnée au montant des travaux de reprise des désordres majorés d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal à compter du jour de la mise en demeure à l’assureur de procéder à l’indemnisation.
Il convient de préciser à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation[4], la sanction pour le dépassement d’un délai de 60 jours n’est pas applicable à l’absence de dommage ou de non-conformité assimilable à un dommage.
De même, il a été jugé[5] que « l’engagement de l’assureur dommages-ouvrage ne peut porter que sur les désordres affectant la construction garantie ». Tel est également le sens de l’arrêt plus récent rendu le 30 juin 2016[6].
Cette position de la Cour de cassation n’est pas à confondre avec son autre courant jurisprudentiel parallèle[7] permettant d’engager la responsabilité délictuelle de l’assureur dommages-ouvrage dans l’hypothèse d’un défaut de sa part de préfinancement efficace et pérenne des travaux de reprise des désordres.
D’ailleurs dans cette hypothèse selon la Cour de cassation[8], en l’absence de lien de causalité entre les travaux de reprise inefficaces et les désordres réapparus à nouveau, la responsabilité de plein de droit du constructeur chargé des travaux de reprise ne saurait être engagée.
Tel n’est cependant pas le cas de l’expert amiable mandaté par l’assureur dommages ouvrage.
Le cas spécifique de l’expert amiable :
Dans son arrêt inédit rendu le 17 octobre 2019[9], la 3ème chambre civile de la Cour de cassation retient la responsabilité délictuelle de l’expert amiable pour ne pas avoir préconisé les travaux de reprise nécessaire à la non-aggravation du sinistre en ces termes ; « Mais attendu qu'ayant relevé, répondant aux conclusions prétendument délaissées, que les travaux nécessaires à la non-aggravation garantis par l'assureur dommages-ouvrage avaient été exécutés et retenu que l'expert amiable avait commis une faute délictuelle pour ne pas avoir fait le lien, alors que la présence d'argile était avérée, entre la réouverture du jour sous plinthe et la sécheresse, et ne pas avoir émis la moindre proposition pour traiter ce sinistre, la cour d'appel a pu en déduire que la société Q... B... , ayant contribué à la réalisation de l'entier dommage, devait le réparer en totalité ; ».
Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. En effet, il convient de rappeler qu’à la différence de l’expert judiciaire, l’expert amiable mandaté par l’assureur dommages-ouvrage est investi de la mission de la maîtrise d’œuvre de conception des travaux de reprise.
Cela ressort notamment de l’annexe II de l’article A243-1 du code des assurances lequel prévoit que le rapport d’expertise dommages-ouvrage doit porter sur « des propositions, descriptions et estimations, concernant les différentes mesures à prendre et les différents travaux à exécuter en vue de la réparation intégrale des dommages constatés » (B 1° c b).
Il est également indiqué dans ce texte (B 3° a) 2° §) que ce rapport doit préciser «°les différents postes de dépense retenus et appuyées des justifications nécessaires, tant en ce qui concerne les quantités que les prix unitaires°».
Cela a amené le Professeur Gilbert Leguay dans ses observations publiées à la RDI en 1988[10] et dont les observations sont partagées par le Professeur Philippe Malinvaud[11] à indiquer que l’expert amiable et a fortiori l’assureur dommages-ouvrage assume « une véritable fonction de la maîtrise d’œuvre de conception dont la charge financière incombe à l’assureur ».
En conclusion, la sanction de l’assureur dommages-ouvrage est bien plus lourde dans l’hypothèse d’un préfinancement insuffisant que dans celle d’un dépassement des délais.
Cette dernière hypothèse est protégée par un l’équivalent d’une clause limitative de responsabilité d’origine légale et soumise à la prescription biennale de l’article L114-1 du code des assurances. Le cas échéant, la sanction de l’assureur dommages-ouvrage est donc strictement limitée au montant des travaux de reprise nécessaires pour mettre fin aux désordres majoré à hauteur d’un intérêt égal au double du taux légal à compter de la date de la mise en demeure adressée à l’assureur de procéder à l’indemnisation.
L’insuffisance de préfinancement relève quant à elle d’une faute de droit commun susceptible d’engager la responsabilité contractuelle ou délictuelle tant de l’assureur que de son expert amiable. Elle relève de la prescription de droit commun, d’une durée de cinq ans à compter de la date de la réapparition des désordres dont la reprise a fait objet de préfinancement de la part de l’assureur dommages-ouvrage. Ce dernier ne peut donc plus faire valablement valoir l’expiration de la garantie décennale à compter de la date de la réception des travaux d’origine.
Cette position de la Cour de cassation est favorable au maître d’ouvrage ou à son acquéreur dans la mesure où au moment de la réapparition des désordres les garanties obligatoires risquent d’être d’ores et déjà expirées.
Il appartient donc aux praticiens de veiller au respect de cette dichotomie.
[1] Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-21.913, Bull. ; Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485, Bull. ; Cass. 3e civ., 22 mai 2007, n° 06-13.821
[2] Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-21.696
[3] Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-11.103
[4] Cass. 3e civ., 7 sept. 2011, n° 10-20.254
[5] Cass. 1re civ., 18 déc. 2002, n° 99-16.551, Bull
[6] Cass. 3e civ., 30 juin 2016, n° 14-25.150
[7] Cass. 1ère Civ. 18 février 2003, n°99-12.203 ; Cass. 3ème Civ. 7 juillet 2004, n°03-12.325 ; Cass. 3ème Civ. 7 décembre 2005, n°04-17.418 ; Cass. 3ème Civ. 20 juin 2007, n°06-15.686 ; Cass. 3ème Civ. 24 mai 2006, n°05-11.708 ; Cass. 3ème Civ. 11 février 2009, n°07-21.761 ; Cass. 3ème Civ. 22 juin 2011, n°10-16.308 ; Cass. 3èmeCiv. 27 juin 2017, n°16-19.634
[8] Cass. 3ème Civ. 15 juin 2017, n° 16-17.811
[9] Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-16.385
[10] RDI 1988. P.319 – 320, obs. G. Leguay
[11] Droit de la construction, Dalloz Action 2018-2019, Ph. Malinvaud, § 112.532