DES PRECISIONS BIENVENUES SUR LES CLAUSES D’EXCLUSION DE SOLIDARITE
Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-17.058
Dans son arrêt inédit rendu le 17 octobre 2019[1] la 3ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle à nouveau la validité des clauses d’exclusion de la solidarité
, en ces termes : « Mais attendu qu’ayant retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’imprécision des termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte rendait nécessaire, que l’application de cette clause d’exclusion de solidarité interdisait de retenir une responsabilité pour les dommages imputables aux autres intervenants et était opposable au maître de l’ouvrage et à ses ayants droit et qu’une telle clause était licite quand était recherchée la responsabilité contractuelle de l’architecte, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le jugement devait être infirmé en ce qu’il avait prononcé des condamnations in solidum contre la société J… C… ; »
- La licéité de la clause dans le domaine contractuel
Même s’il s’agit sur ce point de la confirmation de sa jurisprudence antérieure, la Haute juridiction glisse une précision bienvenue dans son attendu de principe, à savoir que cette validité ne joue qu’en matière contractuelle. Rappelons à cette occasion que le champ d’application des clauses d’exclusion de solidarité n’a eu cesse de s’agrandir ces derniers temps.
C’est ainsi que depuis 2013[2], la Haute juridiction valide ce type de clause tant au regard de la responsabilité solidaire (c’est-à-dire prévue par le contrat ou les dispositions légales[3] qu’in solidum (c’est-à-dire découlant de l’application de la théorie prétorienne nécessitant la démonstration de plusieurs fautes délictuelles[4] et[5] /ou contractuelles[6] à l’origine du même dommage).
De même, dans son arrêt récent rendu le 14 février 2019[7] la Haute juridiction a reconnu l’application de cette clause au regard de la condamnation in solidum, au motif que cette dernière comporte l’expression «°en particulier°» permettant de considérer que l’exclusion visée ne se limite pas à la responsabilité solidaire mais qu’elle s’étend également à la responsabilité in solidum.
Or, la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation écartait systématiquement l’application de ce type de clauses dans l’hypothèse d’une condamnation in solidum[8] au motif que celle-ci n’en faisait pas objet. L’évolution de la position de la Haute juridiction ne relève cependant pas d’un revirement mais de l’adaptation de la clause en question à la jurisprudence antérieure. Sous réserve de son éventuel caractère abusif[9], la rédaction de cette clause serait alors décisive pour l’issue d’un éventuel contentieux sur ce point.
Il en est de même en ce qui concerne les clauses de conciliation préalable au regard desquelles la Cour de cassation a confirmé dans son arrêt rendu le 21 mars 2019[10] son interprétation stricte. Notamment en l’espèce suscité, il a été jugé « que la clause de conciliation stipulée à l’acte de prêt, n’avait pas prévu expressément son application à l’occasion de la mise en oeuvre d’une mesure d’exécution forcée, la cour d’appel en a exactement déduit, hors toute dénaturation, qu’elle ne pouvait faire obstacle à la délivrance d’un commandement de payer et à l’assignation de la débitrice à l’audience d’orientation ».
Cette jurisprudence abondante était toutefois regrettable en ce qu’elle omettait le plus souvent de préciser expressément qu’elle n’avait vocation à s’appliquer qu’en domaine contractuel, et non pas au regard de la garantie décennale prévue par les articles 1792 et suivants du Code civil. Pour s’en apercevoir il fallait se pencher sur les faits de chaque espèce[11].
- Une précision relative au champ d’application de la clause
C’est donc la raison pour laquelle la précision de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 17 octobre 2019 concernant le champ d’application de cette clause est bienvenue. En effet, au regard des dispositions de l’article 1792-5 du Code civil ainsi que l’article L111-20-1 du Code de la construction et de l’habitation outre les clauses-types prévues par l’article A243-1 du Code des assurances, ce type de clause ne saurait être opposable dès lors qu’il s’agit de l’application de la garantie décennale. Tel est notamment le sens de la jurisprudence rendue en la matière[12].
Ainsi, la lecture a contrario de l’arrêt rendu le 17 octobre 2019[13] permet à juste titre d’écarter l’application des clauses d’exclusion de solidarité dès lors que la responsabilité d’un intervenant concerné est recherchée sur le fondement de la garantie obligatoire.
Cet arrêt s’inscrit d’ailleurs dans le courant jurisprudentiel d’ores et déjà établi au regard des clauses préalable de conciliation[14], dont l’application doit être écartée selon la Haute juridiction « au besoin d'office, si l'action, exercée postérieurement à la réception de l'ouvrage, en réparation de désordres rendant l'ouvrage impropre à sa destination, n'était pas fondée sur l'article 1792 du code civil, ce qui rendait inapplicable la clause litigieuse ».
[1] Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-17.058
[2] Cass. Civ. 3ème, 19 mars 2013, n°11-25.266; Cass. Civ.3ème, 8 février 2018, n°17-13.596
[3] Anciens articles 1197 et 1202 devenus respectivement 1311 et 1310 du Code civil
[4] Com. 4 mars 1997, no 95-10.756
[5] Civ. 3e, 5 déc. 1972, no 71-13.818
[6] Civ. 1re, 1er juin 1976, n° 75-11.611
[7] Cass. 3ème Civ., 14 février 2019, n°17-26.403
[8] Civ. 3e, 18 juin 1980, n° 78-16.096
[9] CA Montpellier 23 octobre 2014 n °13/04143 ; Cass. 3ème civ. 4 février 2016, n°14-29.347
[10] Cass. 2ème Civ. 21 mars 2019, n°18-14.773)
[11]CA Bordeaux, 8 octobre 2015, nº 13/06176 ; CA Aix-en-Provence, 24 septembre 2015, nº 14/14258 ;
CA Montpellier, 10 novembre 2016, n°13/09115
[12] CA Montpellier 22 décembre 2016, RG 13/08503 ; CA Montpellier, 10 novembre 2016, n°13/09115 ; Cass. 3ème Civ. 4 février 2016, n°14-29.790 ; n°15-12.128
[13] Cass. 3e civ., 17 oct. 2019, n° 18-17.058
[14] Cass. 3e civ., 23 mai 2019, n° 18-15.286, Publié au bulletin