LA RESPONSABILITE DECENNALE DU MAITRE D’ŒUVRE
Cass. 3e civ., 21 nov. 2019, n° 16-23.509, Bull
Dans son arrêt rendu le 21 novembre 2019[1], Bull., la 3ème chambre civile de la Cour de cassation retient la responsabilité décennale de l’architecte en charge uniquement du dépôt de permis de construire au titre d’un soulèvement du sol et de la fissuration du dallage de l’ouvrage litigieux, étant précisé que l’étude des fondations avait été par ailleurs confiée à un intervenant distinct.
En dépit de la critique au regard de sa sévérité, cette décision semble s’inscrire dans le courant jurisprudentiel constant.
En effet, dans la mesure où l’obtention du permis relève de l’obligation du maître d’ouvrage lui-même, le refus ou son éventuelle péremption ne sauront engager la responsabilité de l’architecte en l’absence de violation des règles d’urbanisme ou négligence fautive de sa part. La mission de l’assistance à l’obtention du permis relève donc de ce point de vue de l’obligation de moyen.
Toutefois, cette mission inclut par essence la conception de l’avant-projet et l’établissement des plans du permis.
Ainsi, sa responsabilité tant contractuelle[2] que délictuelle[3] avait été d’ores et déjà retenue au motif qu’il doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol, au titre de son manquement à l’obligation de conseil[4].
La Cour d’appel de Montpellier[5] a jugé que bien que non investi dans la conception technique du bâtiment et de la direction des travaux, il incombait à l’architecte ayant reçu la mission de déposer des demandes de permis modificatifs, d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur les risques inhérents aux changements de destination de l’ouvrage. A défaut, et en l’absence de la réception, sa responsabilité contractuelle était retenue.
La particularité de l’arrêt commenté consiste donc davantage dans le fondement retenu que dans le principe même de la responsabilité de l’architecte chargé de la mission du dépôt du permis.
En l’espèce, à la différence de sa jurisprudence antérieure, la Haute juridiction se contente de retenir le fait que la cause des désordres relevait de la mission de l’architecte.
Le raisonnement retenu ne semble pas être incohérent au regard de l’étendue de la mission confiée à l’architecte à ce titre.
En effet, l’article 3, al.2, de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture et de l’article 16 du Code de déontologie des architectes met à sa charge la définition de l’implantation de l’ouvrage. Son obligation au titre de cette mission va jusqu’à la vérification du respect de ses plans dans les documents d’exécution, et cela même si la direction des travaux ne lui a pas été confiée.
Pour être complet, rappelons également que selon l'article 33 du nouveau Code des devoirs, le maître d’œuvre est tenu d’« adapter le nombre et l'étendue des missions qu'il accepte à ses aptitudes ». Il en ressort que dès lors qu’il accepte une mission, l’architecte ne peut valablement se prévaloir de l’insuffisance de ses compétences[6].
Or, dès lors qu’il s’agit des désordres de nature décennale, l’architecte est tenu à l’obligation de résultat et ne peut échapper à sa responsabilité au motif de l’impossibilité de la surveillance permanente[7].
Il est donc acquis que lorsque le projet s’avère non réalisable, notamment en raison des contraintes du sol, l’architecte peut voir sa responsabilité retenue tant sur ce fondement contractuel ou délictuel au titre de son défaut de l’obligation de conseil que sur le fondement décennal dès lors que les désordres apparus après la réception ont rendu l’ouvrage impropre à sa destination.
Sur le plan pratique, il appartient donc à l’architecte le cas échéant de ne pas omettre de déclarer le chantier en question à son assureur afin d’éviter de se voir opposer la non-garantie ou la réduction proportionnelle de l’indemnité conformément aux dispositions respectives des articles L113-8 et L.113-9 du Code des assurances et la jurisprudence rendue en leur application.
[1] Cass. 3e civ., 21 nov. 2019, n° 16-23.509
[2] Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-10.598
[3] Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, n° 14-16.717
[4] Cass. 3e civ., 15 déc. 1999, n° 97-22.517
[5] CA Montpellier, 27 oct. 2016, n°13/03302
[6] Civ. 3e, 16 avr. 1986, RDI 1986. 366, obs. Malinvaud et Boubli
[7] Cass. 3ème Civ. 27 juin 2001, n°00-12.130