ARRET DU 23 MAI 2019 : GARANTIE DECENNALE – INOPPOSABILITE DES CLAUSES DE CONCILIATION / MEDIATION
Cass. 3ème Civ. 23 mai 2019, n°18-15.286
L’arrêt rendu le 23 mai 2019 vient de préciser le champ d’application des clauses de conciliation préalables, lesquelles sont notamment souvent prévues dans les contrats de la maîtrise d’œuvre.
Il est désormais certain que ces dernières n’ont pas vocation à s’appliquer aux litiges relevant de l’application de la garantie décennale au sens de l’article 1792 du Code civil.
Il ne s’agit en l’occurrence d’aucun revirement.
Cet arrêt est parfaitement conforme à la jurisprudence antérieure de la Haute Juridiction.
Il a été jugé régulièrement[1] que ces clauses ne sont pas opposables au maître d’ouvrage dès lors que son recours à l’encontre du maître d’œuvre est fondé sur la garantie décennale :
« La clause de saisine de l’Ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur l’exécution du contrat, ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du Code civil et n’avait donc pas vocation à s’appliquer dès lors que la responsabilité de l’architecte était recherchée sur le fondement de l’article 1792 du Code civil. »
Cependant, cette jurisprudence datant désormais plus de dix ans avait besoin d’être réaffirmée à nouveau face à la pratique récente des maîtres d’œuvre visant de contester la recevabilité des recours à leur encontre, peu importe leur fondement.
Tel était également l’approche de leurs assureurs espérant à force de la persévérance de faire dépasser l’ancienne jurisprudence de la cour de cassation selon laquelle l’existence d’une clause de conciliation préalable devant l’Ordre des architectes ne saurait avoir pour effet de faire échec à l’action directe du maître d’ouvrage exercée à l’encontre de l’assureur de la responsabilité civile de l’architecte sur le fondement des dispositions de l’article L 124-3 du Code des assurances[2].
Il convient d’ailleurs de remarquer que sous leur insistance, certaines juridictions de fond ont fini par admettre le contraire dans les décisions qui restent cependant très isolées[3] et ne concernent une fois de plus que la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre.
Dans leurs écritures au fond ces derniers continuaient donc de faire état de cette clause dans le contentieux relevant de l’application des garanties obligatoires.
Pour cela, les architectes et leurs assureurs se sont inspirés de la jurisprudence plus récente de la Cour de cassation[4], laquelle écartait la recevabilité des recours dirigés à leur encontre en l’absence de la mise en œuvre préalable de cette clause, en ces termes :
« Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir ».
Il n’était par ailleurs pas autorisé de procéder à sa régularisation en cours d’instance[5], en ces termes :
«°Qu’en statuant ainsi, alors que la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle qui institue une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance, la cour d’appel a violé les textes susvisés°».
Pour contourner cette difficulté, la seule solution envisageable en pratique était pour le demandeur de se désister d’instance afin de mettre en œuvre la procédure de la conciliation et pouvoir ensuite réintroduire son action.
Cette solution était néanmoins risquée de point de vue des délais d’action puisqu’un tel désistement anéantirait le bénéfice de l’interruption de la prescription attachée à la demande en justice initiale.
Il convient de préciser à cet égard que la plupart des décisions rendue en application de cette clause ne prenait pas la peine de préciser qu’il s’agissait de l’application de la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre et non pas de la garantie décennale.
Il fallait pour le constater de revenir sur les faits de chacun de ces espèces.
Le faisant, il était aisé de constater qu’il ne s’agissait à aucun moment de la responsabilité décennale des maîtres d’œuvre mais du contentieux purement contractuel portant notamment sur :
- Un dépassement de coût des travaux, un retard du chantier et des malfaçons ne relevant pas de la garantie décennale[6] ;
- Une indemnité contractuelle de résiliation[7]
- Une erreur sans désordre[8] ;
- Des désordres avant la réception[9].
Il était donc évident qu’il n’a jamais été question de remettre en cause la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation écartant l’application des clauses préalables de conciliation ou de médiation aux contentieux spécifiques relevant des dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil.
Tel est le sens de l’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 23 mai 2019[10], laquelle invite les juridictions du fond à rechercher, au besoin même d’office, s’il s’agit d’un contentieux relevant de l’application de l’article 1792 du Code civil avant de se prononcer sur la recevabilité de l’action en présence d’une clause de conciliation préalable qui n’avait pas été mise en œuvre, en ces termes :
« Attendu que, pour dire que l’action à l’égard de la société Aedifi est irrecevable, l’arrêt retient que le contrat d’architecte comporte une clause G 10 selon laquelle « En cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire », que M. X... et Mme Y... ne justifient pas avoir mis en oeuvre la procédure organisée par cette clause préalablement à la présentation de leur demande d’expertise, que le défaut de mise en oeuvre d’une procédure contractuelle de conciliation préalable à une action judiciaire avant la saisine de la juridiction du premier degré ne peut être régularisé en cause d’appel et que faute pour M. X... et Mme Y... d’avoir saisi pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes avant la présentation de leur demande contre la société Aedifi en première instance, cette demande ainsi que celles qui sont formées en cause d’appel sont irrecevables ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, au besoin d’office, si l’action, exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage, en réparation de désordres rendant l’ouvrage impropre à sa destination, n’était pas fondée sur l’article 1792 du code civil, ce qui rendait inapplicable la clause litigieuse, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Ce rappel est bienvenu puisqu'il met fin à l'insécurité juridique résultant de l'interprétation extensive par une partie des praticiens de la jurisprudence rendue par la Cour de cassation en 2016 et permettra à terme d'éviter le contentieux stérile et souvent dilatoire relevant de l’application de ces clauses dans le domaine relevant des dispositions d’ordre public en droit de la construction.
[1] Cass, 3ème civ, 9 octobre 2007, n° 06-16.404 ; Cass, 3ème civ, 23 mai 2007, n° 06-15.668 ; Cass, 3ème civ, 4 novembre 2004, n° 03-13.002
[2] Cass, 3ème civ, 18 décembre 2013, n° 12-18.439
[3] CA Montpellier 7 novembre 2013 n°11/05417 ; TGI Paris 23 septembre 2016 n°14/02262
[4] Cass. 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-14.464, Publié au bulletin
[5] Cass. 3e civ., 16 juin 2016, n° 15-16.309
[6] Cass. 3e civ., 16 juin 2016, n° 15-16.309
[7] Cass. 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-14.464, Publié au bulletin
[8] Cass. 3e civ., 4 juin 2014, n° 13-19.684
[9] CA Paris, pôle 4 - ch. 6, 28 avr. 2017, n° 15/16869
[10] Cass. 3èmeCiv. 23 mai 2019, n°18-15.286