Marché à prescription biennale : Opposabilité des restriction prévues dans la police d’assurance
Cass. 3e civ., 21 mars 2019, n° 17-28.021, Publié au bulletin
Dans notre espèce, le syndicat des copropriétaires entreprend les travaux de réhabilitation des façades de son immeuble. (Les travaux ont été réceptionnés le 17 mars 1997). Consécutivement à l’apparition de désordres, il régularise la mise en cause de l’assureur « Dommages Ouvrage » le 14 mars 2003, soit peu de temps avant l’expiration de la garantie décennale. Ce dernier met en cause les constructeurs et leurs assureurs « responsabilité décennale » le 20 mars 2003. Toutefois, il est reproché au syndic qu’à la date de l’introduction de l’instance, il ne justifiait pas avoir été régulièrement habilité à agir en justice dans l’intérêt du syndicat des copropriétaires.
- Dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation
Or, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le syndicat des copropriétaires ne saurait se prévaloir de l’interruption de la prescription n’ayant pas dument habilité le syndic à ester en justice en son nom à la date de l’introduction de l’instance. En effet, selon la Haute juridiction, sauf quelques exceptions[1] admises de longue date, l’interruption ne bénéficie qu’à l’auteur de l’action[2].
Pour agir à l’encontre de l’assureur « Dommages-ouvrage », le syndicat des copropriétaires bénéficie de l’application cumulative de la forclusion décennale et de la prescription biennale.
Cependant, conformément à l’article 55 alinéa 1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, ne pouvant ester en justice que par le biais de son syndic[3], sauf pour certain type d’actions[4], il lui appartient de régulariser avant la date de l’introduction d’instance une habilitation complète et précise[5] en ce sens.
A défaut, en dépit de cette régularisation, le syndicat risque ne pas pouvoir en bénéficier.
Selon l’article 117 du Code de procédure civile, constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte, le défaut de capacité d’ester en justice, le défaut de pouvoir d’une partie ou du représentant d’une personne morale ou bien d’un incapable et enfin le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation en justice.
De plus, l’article 121 du code de procédure civile dispose que le défaut de pouvoir qui résulte des limites de cette autorisation quant aux autres défendeurs que ceux qui y sont visés peut être régularisé par une nouvelle délibération, intervenue avant l’expiration du délai de forclusion ou de prescription.
En application de ces dispositions il est donc constant que la régularisation d’autorisation du syndic à agir en justice au nom du syndicat ne saurait intervenir qu’avant l’expiration du délai d’exercice de l’action[6].
C’est donc la raison pour laquelle l’assureur « Dommages Ouvrage » faisait valoir au visa des articles L112-1, L114-1 et L114-2 du code des assurances la prescription de l’action du syndicat à son égard.
Cependant, la Cour d’appel de Douai qui a fait droit à ce raisonnement, a été censurée par la Cour de cassation, laquelle a rappelé son ancienne et constante jurisprudence[7], suivant laquelle les modalités de la prescription biennale ne sont opposables à l’assuré que s’il en était dument informé, en ces termes :
« Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que l’assureur qui, n’ayant pas respecté les dispositions de l’article R. 112-1 du code des assurances, ne peut pas opposer la prescription biennale à son assuré, ne peut pas prétendre à l’application de la prescription de droit commun et relevé que, par délibération du 14 décembre 2013, le syndicat des copropriétaires avait habilité son syndic à agir au titre des désordres affectant les seuils des portes-fenêtres, la cour d’appel en a exactement déduit que la demande formée de ce chef contre les assureurs dommages-ouvrage était recevable ».
Comme cela sera rappelé ci-dessous cette inopposabilité porte non seulement sur le délai de cette prescription mais sur l’ensemble des modalités de sa mise en œuvre.
Comme cela vient d’être rappelé, la prescription biennale prévue par l’article L114-1 du Code des assurances n’est opposable à l’assuré qu’à condition que l’assureur démontre l’avoir valablement informé. En effet, les dispositions d’ordre public de l’article R.112-1 du code des assurances, ainsi que la jurisprudence constante de la Cour de cassation, imposent à l’assureur de rappeler à l’assuré :
- Le délai biennal de la prescription [8]
- Les différents points de départ du délai de prescription [9]
- Les causes d'interruption de la prescription biennale prévue à l'art. L. 114-2 [10]
- Les causes ordinaires d'interruption de la prescription[11].
L'inobservation des dispositions de cet article est sanctionnée par l'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'art. L. 114-1 du code des assurances[12].
Précisons enfin pour compléter ces propos que selon la jurisprudence[13], l’assureur « Dommages Ouvrage » ayant fondé son refus de garantie sur un autre motif que la prescription biennale n’est plus recevable à l’opposer à son assuré.
Le moyen tiré de la prescription est toutefois recevable lorsque les garanties de l’assureur « Dommages Ouvrage » sont mobilisées au titre d’une sanction pour le non-respect des dispositions de l’article L242-1 du Code des assurances[14].
Au vu de ce qui précède, il appartient donc à l’assureur de veiller à ce que non seulement ces dispositions soient rappelées dans les conditions générales de la police, mais également que ces dernières soient régulièrement transmises à l’assuré.
A défaut, l’assuré pourrait donc être considéré recevable à agir à l’encontre de son assureur bien au-delà de l’expiration de la prescription biennale, ce qui amène une partie de la doctrine à s’interroger sur l’imprescriptibilité de cette action.
Une telle conclusion semble néanmoins aller au-delà de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans la mesure où si les conditions de son opposabilité son bien remplies, l’action de l’assuré ne pourrait être exercée que dans le délai de deux ans imparti.
De plus, comme l’évoque à juste titre une autre partie de la doctrine, l’assureur pourrait également faire valoir les dispositions de l’article 1210 du Code civil interdisant les engagements perpétuels.
Auquel cas, il appartiendra à la juridiction saisie de trancher entre l’application de ces deux principes.
En attendant, il convient simplement de retenir que l’opposabilité de la prescription biennale de l’article L114-1 du Code des assurances, en tant que prescription applicable au contrat, est soumise au même régime que les autres éventuelles restrictions de la garantie.
Nous les aborderons dans la deuxième partie du présent exposé.
- Conditions de l’opposabilité des autres restrictions de la garantie
Tel que cela ressort des dispositions des articles L112-2 et R112-2 du code des assurances, ainsi que de la jurisprudence applicable en la matière, pour que les restrictions prévues dans le contrat d’assurance puisse être opposables à l’assuré, il appartient à l’assureur de veiller à ce que ces dernières lui soient régulièrement remises et acceptées par ses soins.
L’article L112-2 du Code des assurances prévoit que « Avant la conclusion du contrat, l’assureur remet à l’assuré un exemplaire du projet du contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l’assuré. »
La jurisprudence constante sanctionne l’inexécution de cette obligation d’information de l’assureur par l’inopposabilité des restrictions non portées à la connaissance du souscripteur lors de la souscription du contrat[15].
C’est ainsi que dans son arrêt rendu le 23 septembre 2003 (Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01-13.405) [16] au visa de l’article L112-2 du code des assurances, la Cour de cassation précise que « qu'il incombe à l'assureur de rapporter la preuve qu'un exemplaire des conditions générales, afférent aux garanties souscrites, a été remis à l'assuré ».
Dans son arrêt rendu le 25 juin 2009[17], la Cour de cassation a jugé que l’assureur ne peut opposer à l’assuré que les exclusions de garantie qui ont été portées à sa connaissance ; tel n’est pas le cas si l’exclusion de garantie figurait dans les conditions générales non remises à l’assuré.
Dans un arrêt du 6 octobre 2011[18], la Cour de cassation réaffirme, au visa de l'article L. 112-2 du code des assurances, qu'une clause d'exclusion, pour lui être opposable, doit avoir été portée à la connaissance de l'assuré au moment de son adhésion à la police ou, à défaut, antérieurement à la réalisation du sinistre.
Tel est également le sens de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 octobre 2012[19].
Cependant, pour que ces dernières soient opposables à l’assuré il ne suffit pas de les lui remettre mais encore il est nécessaire que ce dernier les accepte régulièrement.
En effet, complétant les dispositions de l’article L112-2, l’article R112-3 du Code des assurances prévoit que la remise de la notice d’information ou du projet du contrat doit être constatée par une mention signée et datée par le souscripteur apposée en bas de la police.
Autrement dit, il appartient à l’assureur de démontrer que ses conditions générales aient été acceptées par l’assuré, c’est-à-dire non seulement remis mais également signées par l’assuré[20].
A défaut, l’assureur ne saurait opposer à son assuré les exclusions de garantie[21].
* * *
Au vu de ce qui précède, et notamment les termes de l’arrêt commenté, il appartient non seulement au syndicat des copropriétaires de veiller à ce que l’habilitation de son syndic d’ester en justice soit dument régularisée avant l’expiration de la prescription applicable à son action, mais également à l’assureur de se prémunir, au moment de la conclusion du contrat d’assurance, des justificatifs de la remise de l’ensemble des conditions applicables à l’assuré et son acceptation.
Comme cela avait été développé ci-avant, cette dernière règle s’applique également à l’ensemble de restrictions prévues dans la police d’assurance.
[1] Cass. 3e civ., 24 févr. 1988, n° 86-17.110 ; Cass. 3e civ., 2 mars 1993, n° 91-16.055 ;; Cass. 20 mars 2002, n° 99-11.745
[2] Cass. 3e civ., 23 juin 2004, n° 01-17.723 ; Cass. 3e civ., 3 mars 2010, n° 09-11.070
[3] Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n° 14-10.961
[4] Actions en recouvrement de créance, la mise en œuvre des voies d’exécution forcée, les mesures conservatoires et les demandes qui relèvent des pouvoirs du juge des référés, ainsi que pour défendre aux actions intentées contre le syndicat
[5] Cass. 3e civ., 27 avr. 2000, n° 98-17.570
[6] Cass. 3ème civ, 13 janvier 2010, n° 09-10398
[7] Cass. 3e civ., 21 mars 2019, n° 17-28.021, Publié au bulletin
[8] Civ. 2e, 14 janv. 2010, n 09-12.590
[9] Cass., 28 avril 2011, n°10-16.403 ; Cass., 22 oct. 2015, n 14-21.292 ; Cass., 10 déc. 2015, n 14-28.012
[10] Cass. 22 oct. 2015, n 14-21.292
[11] Civ. 3e, 26 nov. 2015, n 14-23.863
[12] Cass., 16 novembre 2011, n°10-25.246 ; Cass. 22 oct. 2015, n 14-21.292
[13] Cass. 3e civ., 22 sept. 2009, n° 04-15.436
[14] Cass. 3e civ., 20 juin 2012, n° 11-14.969
[15] Cass., n°99-21.486, n°00-13.401, n°01-03.585
[16] Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01-13.405
[17] Cass., civ. 2e, 25 juin 2009, n° 08-16206
[18] Cass., civ. 2e, 6 octobre 2011, n° 10-15370
[19] Cass. 25 octobre 2012 RG n°11-25490
[20] Cass. 2e civ., 24 nov. 2011, n° 10-17.785
[21] Cass., civ. 2e, 25 juin 2009, n° 08-16206