SUR L’INTERRUPTION DES DÉLAIS DE FORCLUSION PAR RECONNAISSANCE DE LA DETTE
Civ. 3ème 14 septembre 2017, pourvoi n°16-19061, Inédit
- Quelle distinction réalisée par le législateur ?
La loi distingue les délais préfix ou de forclusion, des délais de prescription, ainsi :
- Les premiers éteignent le délai d’action fixé par la loi
- Les seconds éteignent le droit du fait de l’inaction prolongée de son titulaire[1].
- Quel classement exercé par le juge ?
La jurisprudence classe la plupart des délais en matière de droit de la construction parmi les délais de forclusion. Il en est ainsi des délais afférents à :
- La garantie décennale [2]
- La garantie de bon fonctionnement [3]
- La garantie de parfait achèvement [4]
- La garantie des vices apparents lors de la livraison de la chose vendue [5]par le vendeur en VEFA [6].
- Un ordre de classement confirmé par le législateur ?
La loi du 17 juin 2008 sur la prescription, en déplaçant les dispositions en matière de construction du chapitre général relatif à la prescription [7] que « les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre », a conforté la qualification consacrée par la jurisprudence.
De ce fait, toutes les dispositions relatives à la prescription sont susceptibles d’être écartées, sauf les exceptions prévues par les articles 2222, 2241 et 2244 du Code civil.
Plusieurs conséquences en résultent.
Ainsi, la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de la loi précitée de 2008 admettait l’interruption des délais de forclusion :
Par citation en justice, même en référé sur le fondement de l’article 2044 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 1985[8].
En cas fait de reconnaissance de sa responsabilité par le constructeur[9].
Or, la situation a été modifiée par les dispositions de la loi du 17 juin 2008 :
L’article 2241 du Code civil prévoit expressément l’interruption par la demande en justice, même en référé, tant du délai de prescription que du délai de forclusion.
L’article 2239 du Code civil institue une suspension du délai de prescription pendant les opérations d’expertise judiciaire, ce dont la jurisprudence a déduit qu’il était inapplicable aux délais de forclusion[10].
L’article 2240 du Code civil, aux termes duquel la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription, n’est pas étendu au délai de forclusion.
- Quid de l’arrêt du 14 septembre 2017 ?
L’arrêt rendu le 14 septembre 2017[11], s’agissant de la responsabilité du promoteur de l’article 1642-1 du Code civil, semble considérer que la reconnaissance de responsabilité, bien qu’elle soit régie par l’article 2240 du Code civil dans les conditions précitées, s’applique aux délais de forclusion.
Arrêt d’espèce, non publié au Bulletin, cette décision pourrait constituer les prémices d’un maintien de la jurisprudence antérieure reconnaissant un effet interruptif à la reconnaissance de responsabilité en matière de délai de forclusion [12], ce qui pourrait être exploité par les acquéreurs et en défaveur des promoteurs.
Cette jurisprudence est contraire à l’interprétation restrictive des dispositions de l’article 2239, alinéa 2 du Code civil adoptée depuis 2015 par la Cour de cassation.
Celle-ci est également contraire à la jurisprudence qui s’est développée à propos du délai de forclusion de l’article L.137-2 du Code de la consommation, et qui refuse toute interruption du délai par la reconnaissance du débiteur [13].
Elle devra faire l’objet d’un éclaircissement dans l’avenir et, en l’état, la plus grande prudence s’impose.
[1] Code civ., art. 2219
[2] Cass. 3ème Civ. 23 octobre 2002, n°01-00206, Bull. ; Cass. Civ. 3 10 novembre 2016, n° 15-24289
[3] Cass. 3ème Civ. 4 novembre 2004, n° 03-12481
[4] Cass. 3ème Civ. 3 23 février 2017, n° 15-28065
[5] Code Civ. art. 1642-1
[6] Cass. 3ème Civ. 3 3 juin 2015, n° 14-15796
[7] C. civ., art. 2270 et 2270-1 devenu 1792-4-1 du Code civil ; art. 2220 du même code
[8] Cass. Civ. 3, 11 mai 1994, n° 92-19747 ; Cass. Civ. 3, 11 janvier 1995, n°93-10327
[9] Cass. Civ. 3° 4 avril 1978, n° 76-15591 ; Cass. Civ. 3 24 juin 1992, n° 90-21116 ; Cass. Civ. 3, 23 octobre 2002, n° 01-00206
[10] Cas. Civ. 3, 3 juin 2015, n° 14-15796
[11] Civ. 3ème, 14 septembre 2017, n°16-19061, Inédit
[12] CA Douai 30 juin 2016 N° 15/02475, CA Caen 13 mai 2014 N° 12/03950
[13] Cass. Civ 1, 17 juillet 1996, n° 94-13875 ; Cass. Civ. 2, 4 juin 2015 n°14-16041