L’OBLIGATION DE DILIGENCE OU LE DANGER D’UNE DECLARATION « TARDIVE » À L’ASSUREUR DOMMAGES OUVRAGE
Faut il le rappeler, l’article L114-1 du code des assurances dispose que « Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance » ?
Grâce à cet article, l’assureur Dommages Ouvrage dont les garanties sont recherchées avant l’expiration de délai de la garantie décennale mais après l’expiration de deux ans à compter de la date de la connaissance par son assuré des désordres peut opposer à ce dernier une prescription.
Il faut tout de même préciser qu’en vertu de l’article R.112-1 du code des assurances et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation[1], cette disposition n’est pas opposable à l’assuré que si ce dernier en a été dument informé[2]par son assureur[3].
Dans certaines hypothèses, cette disposition peut également permettre à l’assuré de bénéficier d’un rallongement des délais de prescription.
Tel est le cas, lorsque l’assuré découvre les désordres peu avant l’expiration de la garantie décennale.
Selon la jurisprudence constante[4], le maître d’ouvrage assuré selon une police Dommages-ouvrage n’est pas tenu de déclarer le sinistre avant l’expiration du délai décennalpuisque l’assuré dispose pour réclamer l’exécution des garanties souscrites d’un délai de deux ans à compter de la connaissancequ’il a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception des travaux.
Dans cette hypothèse, l’assuré bénéficie d’un délai de dix ans, rallongé de deux ans.
Cependant, lorsque l’assureur Dommages Ouvrage est assigné par son assuré après l’expiration de prescription décennale, il est en principe privé de la possibilité d’exercer ses recours à l’encontre des constructeurs responsables.
Tel était le cas de l’arrêt rendu par la 3èmechambre civile de la Cour de cassation le 8 février 2018[5]refusant le bénéfice de la garantie Dommages Ouvrage au maître d’ouvrage institutionnel, ayant déclaré les désordres apparus quelques mois avant l’expiration de la garantie décennale, dans le délai de deux ans après l’expiration de cette dernière, en ces termes :
« Mais attendu qu'ayant retenu exactement que le fait que les sociétés Dilisco et Natiocrédimurs puissent utilement déclarer un sinistre dans les deux ans de sa révélation ne les dispensait pas de respecter l'obligation de diligence que sanctionne l'article L. 121-12 du code des assurances et souverainement qu'elles avaient, par leur retard apporté dans leurs déclarations de sinistre, interdit à l'assureur dommages-ouvrage d'exercer un recours à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs, toute action à leur encontre étant forclose faute de dénonciation des désordres dans le délai décennal, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a déduit à bon droit de ces seuls motifs que les demandes des sociétés Dilisco et Natiocrédimurs devaient être rejetée ».
Cet arrêt était rendu au visa de l’article L121-12 du Code des assurances dont l’alinéa 2 dispose que :
« L'assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur. »
En vertu de ce texte, il avait été précédemment jugé que l'assureur de dommages peut s'opposer à la demande en garantie dès lors que l'assuré :
- avait omis de conserver son recours contre le transporteur, comme la police l'y obligeait[6]
- n'a pas déclaré ses créances, à l'encontre de constructeurs mis en liquidation de biens et non assurés en responsabilité[7].
Cette fois-ci, la Cour de cassation se permet d’aller encore plus loin pour priver le maître d’ouvrage institutionnel de ses garanties au motif qu’il lui appartenait au nom de l’obligation de diligence de déclarer son sinistre avant l’expiration de la garantie décennale afin de permettre à son assureur d’exercer ses recours.
Cet arrêt publié au Bulletin ne remet pas en cause la jurisprudence suscitée de la Cour de cassation[8], mais permet désormais aux juges du fond de sanctionner les maîtres d’ouvrage lorsque ces derniers « tardent » au détriment de l’assureur de régulariser leur déclaration de sinistre. Ce danger est d’autant plus élevé lorsqu’il s’agit des maîtres d’ouvrage institutionnels.
Une grande prudence s’impose donc désormais aux promoteurs lors de l’apparition des désordres près de la fin de l’expiration de la garantie décennale.
Le cas échéant, il est fortement conseillé de régulariser au plus vite la déclaration du sinistre afin d’éviter la déchéance de la garantie.
Daria BELOVETSKAYA
AVOCAT AUX BARREAUX DE PARIS ET DE SAINT-PETERSBOURG
[1]Le délai biennal de la prescription : Civ. 2e, 14 janv. 2010, n 09-12.590 ; Les différents points de départ du délai de prescription : Cass., 28 avril 2011, n°10-16.403 ; Cass., 22 oct. 2015, n 14-21.292 ; Cass., 10 déc. 2015, n 14-28.012 ; Les causes d'interruption de la prescription biennale prévue à l'art. L. 114-2 : Cass. 22 oct. 2015, n 14-21.292 ; les causes ordinaires d'interruption de la prescription : Civ. 3e, 26 nov. 2015, n 14-23.863
[2]Cass., 16 novembre 2011, n°10-25.246 ; Cass. 22 oct. 2015, n 14-21.292
[3]La preuve de la remise à l'assuré des conditions générales ou d'une notice l'informant des délais de prescription des actions dérivant du contrat d'assurance : Cass., 30 juin 2011, n°10-23.223, Cass., 13 juin 2013, n°12-21.276
[4]Cass. 19 mai 2016 n° 15-16.688
[5]Cass., 3ème Civ., 8 février 2018, 17-10.010, Publié au bulletin
[6]Com. 27 oct. 1971: Bull. civ. IV, no 258
[7]Civ. 1re,12 déc. 1995: RGDA 1996. 343, note Périnet-Marquet; RCA 1996, no 106