SUR LA FORCE OBLIGATOIRE DE LA RÉFÉRENCE CONTRACTUELLE À LA NORME AFNOR P.03.001 : NOUVELLE REAFFIRMATION
L’article 19.6.3 de la norme AFNOR NFP.03.001 en sa rédaction du mois de décembre 2000 dispose que « l’entrepreneur dispose de 30 joursà compter de la notification pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles au Maître d’œuvre pour en aviser simultanément le Maître d’ouvrage. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté le décompte définitif ».
Cette disposition est reprise dans la même rédaction dans la norme AFNOR publiée en octobre 2017.
Il en résulte que le constructeur ne dispose que d’un délai de 30 jours à compter de la réception de décampte général définitif de la part de Maître d’ouvrage pour faire état d’une éventuelle réclamation au titre de son solde du marché.
Passé ce délai, toute éventuelle demande en ce sens serait irrecevable.
C’est en ce sens que la 3èmeChambre Civile de la Cour de cassation a statué dans son arrêt du 8 février 2018[1].
En l’espèce, le Maître d’ouvrage a sollicité sur la base d’un DGD (non contesté par le constructeur dans un délai de 30 jours à compter de sa notification) un trop-perçu que le constructeur avait refusé de lui rembourser.
À titre reconventionnel, le constructeur a sollicité la condamnation du Maître d’ouvrage en paiement du solde de ses travaux.
Pour cela, il soutenait que le document qui lui avait été adressé par le Maître d’ouvrage était dépourvu d’en-tête et de la signature de sorte qu’il ne constituait pas de décompte général définitif (DGD).
Sur ce point le constructeur avait été suivi par les Juges du fond lesquels lui avaient accordé le bénéfice du paiement du solde des travaux.
Toutefois, le raisonnement de la Cour d’appel avait été invalidé par la 3èmeChambre civile de la Cour de cassation laquelle sans vouloir se pencher sur la problématique des attributs nécessaires d’un DGD a considéré qu’il appartenait en tout état de cause au constructeur de contester le document intitulé ainsi dans le délai de 30 jours à compter de sa réception.
Cet arrêt rendu au visa de l’article 1134 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016) affirme donc de plus fort la force contractuelle des dispositions de la norme AFNOR NFP.03.001, notamment en ce qui concerne le respect des procédures et des délais impartis.
Il est intéressant à cet égard de rappeler les termes de l’arrêt rendu le 10 février 2010 par la 3èmeChambre de la Cour de cassation[2], relativement à l’application des articles 19.5.1, 19.5.4 et 19.6.2 de la Norme Afnor P03-001 dans sa rédaction de décembre 2000.
Ces dispositions prévoient à la charge de l’entrepreneur une obligation de faire parvenir au maître d’œuvre un mémoire définitif comportant l’intégralité des sommes qu’il estime lui sont dues en application du marché dans un délai de 60 jours à compter de la réception des travaux.
De son coté, le maître de l’ouvrage disposait d’un délai de 45 jours à compter de la réception de ce document de la part du maître d’œuvre pour notifier à l’entrepreneur le décompte définitif.
En l’espèce, le mémoire définitif a été transmis par l’entrepreneur non pas au maître d’œuvre, mais à son sous-traitant. De plus, ledit décompte n’a jamais été transmis au maître d’ouvrage.
Dans ce contexte, la 3èmechambre de la cour de cassation a estimé que la procédure prévue par la norme AFNOR n’était pas respectée, en ces termes :
« Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que la société E2CA était intervenue en qualité de sous-traitante du maître d'œuvreet n'avait pas transmis au maître de l'ouvrage le mémoire définitif reçu de l'entrepreneur, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ».
L’attendu de cet arrêt a donné lieu aux interprétations dans la doctrine[3], s’interrogeant sur la question à savoir si :
- Le défaut de la transmission du mémoire définitif au maître d’œuvre peut être « couvert » par sa notification au maître d’ouvrage ou
- Si le décompte est bien transmis au maître d’œuvre, la sanction (pour un défaut de notification d’un DGD dans un délai de 45 jours) est susceptible d’être encourue par maître d’ouvrage peu importe si le mémoire définitif lui avait été dument notifié.
Dans son arrêt rendu le 20 avril 2017, la 3èmechambre de la Cour de cassation apportait une précision sur ce dernier point[4], en ces termes :
« Attendu que, pour condamner M. et Mme Y... à payer à la société GRB la seule somme de 67 076 euros au titre du solde du marché, l'arrêt retient que le délai de quarante-cinq jours prévu par l'article 19.6.2 de la norme NF P 03-001 n'a pas couru à l'encontre de M. et Mme Y..., faute par la société A... de leur avoir transmis le mémoire définitif de la société GRB comme le lui imposait l'article 19.6.1, et qu'à défaut de respect des règles fixées par cette norme, l'entrepreneur ne peut se prévaloir du silence du maître de l'ouvrage pour tenir pour accepter le mémoire définitif ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que l'entrepreneur avait notifié au maître d'œuvre son mémoire définitif conformément aux prescriptions de la norme, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.»
Autrement dit, le maître d’ouvrage est susceptible d’encourir la sanctionprévue par l’article 19.6.1 de la Norme AFNOR, même si le mémoire définitif ne lui avait pas été notifié, dès lors que celui-ci avait été dument transmis par l’entrepreneur au maître d’œuvre.
Enfin, toujours au visa de l’article 1134 du code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016), dans son arrêt rendu le 25 janvier 2018[5], la 3èmeChambre de la Cour de cassation a jugé que les juges du fond ne disposaient pas d’un pouvoir de revoir le montant des pénalités de retard, dès lors que ces derniers ont fait objet d’un DGD, non-contesté par l’entrepreneur dans un délai de 30 jours conformément à l’article 19.6.3 de la norme NFP 03-01.
La force obligatoire de référence contractuelle à la norme Afnor emporte donc tant sur les pouvoirs de modération des juges du fond que sur les délais de prescription de droit commun.
L’ensemble de ces arrêts vise à affirmer de plus fort la force contractuelle de la norme Afnor, dont les dispositions ont vocation à s’appliquer à conditions que tous les préalables prévus par la norme l’avaient été également.
Si nous avions d’autres renseignements pratiques à tirer de l’arrêt rendu le 8 février 2018[6], dès lors que la procédure relative à l’établissement d’un DGD est remplie, il est illusoire pour une des parties d’essayer d’échapper aux conséquences prévues par la norme, aux motifs ayant trait aux attributs formels des documents transmis.
En l’espèce, le formalisme des délais a profité au Maître d’ouvrage en ce qu’il a privé l’entrepreneur la possibilité de contester le DGD.
Du côté du constructeur, on ne saurait donc que de lui conseiller à ne pas dépasser un délai de 30 jours prévu à l’article 19.6.3 de la norme AFNOR, même si le DGD transmis n’est pas signé ou est dépourvu d’un papier en-tête...
Daria BELOVETSKAYA
AVOCAT AUX BARREAUX DE PARIS ET DE SAINT-PETERSBOURG
[1]Cass. 3èmeCiv. 8 février 2018, n° 17-10039, publié au Bulletin
[2]Cass. 3èmeCiv. 10 février 2010 n° 09-12.125, publié au Bulletin
[3]C. Charbonneau Décompte définitif : respect de la procédure AFNOR convenue, RDI 2010, p.210
[4]Cass. 3ème Civ. 20 avril 2017, n°16-12.092, Publié au Bulletin
[5]Cass. 3ème Civ. 25 janvier 2018, n°16-28.777, inédit
[6]Cass. 3ème Civ. 8 février 2018, n° 17-10039, publié au Bulletin