UTILISATION DE CRITERES SUSCEPTIBLES DE REMETTRE EN CAUSE LA JURISPRUDENCE DES ELEMENTS D’EQUIPEMENT DISSOCIABLES ADJOINTS
Cass. Civ. 3 20 avril 2017, n°16-13603 ; Cass. Civ. 3 15 juin 2017, n°16-19640 ; Cass. Civ. 3 29 juin 2017 n°16-16637 ; Cass. Civ. 3 14 septembre 2017, RG 16-17323 ; Cass. Civ 3 26 octobre 2017, RG 16-18210 ; Cass. Civ. 3 25 janvier 2018, n°16-100.50
Par six arrêts successifs, rendus entre avril 2017 et janvier 2018[1], la 3èmeChambre civile de la Cour de cassation a affirmé le principe selon lequel un élément d’équipement, relève de la garantie décennale dès lors qu’il a rendu l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination :
- qu’il soit installé lors de la construction de l’ouvrage ou postérieurement,
- qu’il soit dissociable ou non de l’ouvrage.
Ces décisions s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel ancien et constant.
Dès 1996, s’agissant d’une installation de chauffage adjoint sur existant, il a été jugé que les dommages qui l’affectaient pouvaient relever de la responsabilité décennale, s’ils portaient atteinte à la destination de l’ouvrage[2].
On retrouve la même motivation dans les arrêts rendus du 2002 jusqu’à 2016[3]au regard d’autres éléments d’équipement dissociables installés sur existant[4].
Il reste à savoir si cette jurisprudence remet en cause le courant jurisprudentiel[5]parallèle issue de l’arrêt rendu le 10 décembre 2003 [6]rendu à propos d’un incendie provoquée par une installation de climatisation réalisée dans un ouvrage existant, dans lequel, dans un souci de protection du maître d’ouvrage[7], la Cour de cassation a écarté, au profit de la garantie de droit commun, l’application de :
- la garantie décennale au motif que l’installation ne constituait pas un ouvrage,
- la garantie de bon fonctionnement au motif qu’il s’agissait d’un élément d’équipement dissociable adjoint à l’ouvrage existant.
A l’exception de l’arrêt inédit et isolé rendu le 26 mai 2010[8], dans ces arrêts il n’avait pas été allégué que les désordres seraient de nature à rendre l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination[9].
Par conséquent, ce courant jurisprudentiel ne semble pas être directement incompatible avec les arrêts de 2017.
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Pour la mise en œuvre de la garantie décennale, au regard de la jurisprudence susmentionnée, il convient donc de déterminer s’il s’agit d’un :
- Equipement dissociable de l’ouvrage, mais constitutif lui-même un ouvrage[10], auquel cas il suffit de démontrer l’impropriété à sa destination de l’équipement pour bénéficier des garanties obligatoires
- Equipement indissociableau sens de l’article 1792-2 du Code civil, qui ne constitue pas lui-même un ouvrage, auquel cas il suffit également de démontrer l’impropriété à sa destination de l’équipement pour bénéficier des garanties obligatoires
- Equipement dissociabled’origine ou installé sur existant, qui ne constitue pas un ouvrage, auquel cas au sens de la jurisprudence de 2017 il est requis de démontrer l’impropriété de l’ensemble de l’ouvrage sur lequel il avait été installé pour pouvoir bénéficier des garanties obligatoires.
S’il s’agit en revanche d’un équipement dissociable qui ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination, il conviendrait alors appliquer la responsabilité de droit commun[11].
- Etendue de l’obligation de l’assurance
Dans son arrêt rendu le 26 octobre 2017[12], la Haute juridiction affirme que les dommages aux existants provoqués par des éléments d’équipement adjoints relève de l’obligation d’assurance et non pas des éventuelles garanties facultatives.
Ce faisant, elle contourne les dispositions de l’article L 243-1-1 du code des assurances, alinéa 2, issues de l’Ordonnance n°2005-658 du 8 juin 2005 ayant vocation à limiter les effets de la jurisprudence CHIRINIAN rendu le 29 février 2000[13], ayant mobilisé des garanties obligatoires de la police au regard des dommages existants.
A la suite de l’ordonnance susmentionnée, les dommages aux existants avaient vocation à relever des garanties facultatives.
Or, dans l’arrêt du 26 octobre 2017, aucune garantie facultative n’était souscrite, dans la mesure où il s’agissait de la police contractée sous l’injonction de bureau de tarification.
Autrement dit, la Haute juridiction écarte l’exclusion prévue par l’article L 243-1-1 du code des assurances, alinéa 2 au motif qu’elle ne s’applique pas aux éléments d’équipement, mais uniquement aux ouvrages installés sur existant.
Cela pourrait amener à une situation paradoxale dans laquelle les dommages aux existants relèveraient de :
- La garantie obligatoire s’ils résultent des dysfonctionnements des éléments d’équipement non ouvrage, et
- La garantie facultative s’ils résultent des dysfonctionnements des éléments d’équipement constitutif d’un ouvrage.
Selon certains auteurs, l’arrêt du 26 octobre 2017 contient des prémisses permettant d’écarter une telle contradiction dans la mesure où, la qualification d’élément d’équipement sur celle de l’ouvrage pourrait être systématiquement privilégiée, pour écarter l’application de l’alinéa 2 de l’article L243-1-1 du Code des assurances.
Si tel est le cas, par ce biais, l’application de ce texte pourrait être en effet systématiquement évitée.
Autrement dit, cela nous amène à la situation consécutive à l’arrêt CHIRINIAN, lorsque les assureurs avaient été contraints de calculer leurs primes non pas en fonction du montant des travaux réalisés par leurs assurés, mais en fonction de l’estimation de l’ouvrage sur lequel ils intervenaient.
- Appréciation in concretode la qualification d’un « élément constitutif de l’ouvrage »
Au regard de la jurisprudence susmentionnée, il est surprenant de lire l’attendu suivant lequel dans son arrêt rendu le 28 février 2018[14], la 3èmeChambre civile de la Cour de cassation a écarté l’application de la garantie décennale au regard des réparations ponctuelles de la toiture au motif que compte-tenu de leur modeste importance il ne s’agissait pas d’un « élément constitutif de l’ouvrage », en ces termes :
« Mais attendu qu'ayant exactement retenu qu'en raison de leur modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l'ouvrage, les travaux, qui correspondaient à une réparation limitée dans l'attente de l'inéluctable réfection complète d'une toiture à la vétusté manifeste, ne constituaient pas un élément constitutif de l'ouvrage, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'il convenait d'écarter l'application du régime de responsabilité institué par l'article 1792 du code civil ».
Cet attendu introduit un critère subjectif de la « modestie »des travaux réalisés sur l’existant.
En cela, l’arrêt rendu le 28 février 2018 illustre le danger mis en exergue par la majorité de la doctrine[15]au regard de la jurisprudence de 2017 concernant les éléments d’équipement adjoint sur l’existant.
En effet, à défaut de l’utilisation de critères subjectifs, tout élément adjoint à l’ouvrage postérieurement à son édification serait susceptible de relever de la garantie décennale.
Or, cela n’était visiblement pas l’intention de la Haute Juridiction.
Les termes de l’arrêt rendu le 28 février 2018 sont par ailleurs, sur ce point, particulièrement maladroits.
Pour éviter toute casuistique future susceptible de remettre en cause sa jurisprudence rendue en 2017, la Cour de cassation aurait pu tout simplement en l’espèce se contenter de constater l’absence de lien de causalité entre les travaux réalisés sur l’existant et les désordres déplorés.
Cela aurait suffit pour écarter tant l’application de la garantie décennale en l’espèce que de la responsabilité de droit commun.
- Conséquences sur le plan pratique
Plusieurs auteurs ont d’ores et déjà alerté sur multiples conséquences pratiques des arrêts 2017, dont notamment les risques de°:
- refus de couverture de la part des assureurs multirisques
- absence de souscription des assurances obligatoires Dommages Ouvrage et Responsabilité civile décennale respectivement par les maîtres d’ouvrage et les intervenants pour les menus travaux de réparation ou d’aménagement d’intérieur
- la responsabilité pénale pour les personnes impliquées dans ces travaux et leurs dirigeants
- difficulté d’établir l’assiette exacte pour la détermination des primes pour les intervenants aux menus travaux de réparation.
Au regard des arrêts de 2017, tout ou pratiquement tout dans l’immeuble peut relever de la qualification d’équipement dissociable.
Certes, pour que la garantie décennale puisse être mobilisée, il convient encore de caractériser l’impropriété de l’ouvrage dans son ensemble à sa destination.
Toutefois, au regard de la jurisprudence, cela n’est pas improbable même au regard des éléments d’équipement « les plus innocents », tels que par exemple un revêtement du sol[16].
Cette approche extensive autant de l’étendue de la garantie décennale que de celle de l’obligation d’assurance semble avoir été remise en cause par l’arrêt rendu le 28 février 2018[17].
Cette évolution jurisprudentielle rend difficile la mise en œuvre de l’obligation de conseil de la part des Compagnies d’assuranceet des courtierssur ce point.
Ces derniers ont en effet tout intérêt lors de la souscription des polices RC à informer les assurés quant à la nécessité de souscrire également une police RCD dès lors qu’ils installent des équipements, même :
- dissociables,
- ne relevant pas de caractéristiques d’ouvrage et
- sur les existants.
Cela est d’autant plus important qu’au regard des nouvelles dispositions des articles 1104 sur la bonne foi et 1121 & 1112-1 sur le devoir d’information, issues de l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016,les manquements éventuels à ces obligations peuvent faire objet d’actions autonomes au titre de dommages et intérêts.
Cela représente autant de facteurs susceptibles de remettre en cause la sécurité juridique des acteurs de l’assurance et de la construction.
Dans ce contexte, une nouvelle réforme sur ce point serait bienvenue.
Daria BELOVETSKAYA
AVOCAT AUX BARREAUX DE PARIS ET DE SAINT-PETERSBOURG
Comme cela vient d’être rappelé ci-dessus, dans l’objectif de limiter les effets de la jurisprudence CHIRINIAN[18], l’alinéa 2 de l’article L243-1-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 8 juin 2005 écartait l’obligation d’assurance au regard des ouvrages existants, sauf si ces derniers sont incorporés dans l’ouvrage neuf et en deviennent techniquement indivisibles.
Dans ses arrêts rendus en 2017, la Cour de cassation a estimé que cette disposition ne portait pas sur l’hypothèse de l’installation d’un élément d’équipement dissociable à un ouvrage existant.
C’est ainsi que dans le but de réaffirmer la volonté législative de 2004 plusieurs variantes d’amendement de ce texte ont été récemment déposées au Sénat.
Un nouvel amendement de ce texte déposé en première lecture devant le Sénat le 16 juillet dernier a été rédigé comme suit :
« II. – Ces obligations d'assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, ni à l'installation d'un élément d'équipement dissociable à un ouvrage existant, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
Cette variante reprend donc expressément la terminologie adoptée par la jurisprudence sur les éléments d’équipement adjoints rendue en 2017.
Si elle est adoptée, cela dispensera tant le maître d’ouvrage que les constructeurs de l’obligation de l’assurance lors qu’ils interviennent pour l’installation d’un élément d’équipement dissociable à un ouvrage existant.
Cependant, sauf d’autres amendements législatifs, au sens de la jurisprudence actuelle, leurs travaux risqueront toujours de relever de la garantie décennale dès lors qu’ils rendront l’ouvrage existant dans son ensemble impropre à sa destination.
Par conséquent, en dépit de cet amendement envisagé, les constructeurs pourront se retrouver dans la situation où leur responsabilité décennale est retenue, mais pas couverte en l’absence de l’obligation d’assurance.
Dans ce contexte, en dépit de l’amendement envisagé, il ne pourrait qu’à leur être conseillé de souscrire une assurance de la responsabilité décennale.
De même, par prudence, il appartiendra aux acteurs d’assurance, tels que les assureurs, les courtiers et les agents, d’informer dûment les souscripteurs et leurs assurés quant aux risques de voir leur responsabilité décennale engagée si leur installation bien que dissociable et installée sur l’existant rend l’ouvrage impropre à sa destination.
[1]Cass. Civ. 3 20 avril 2017, pourvoi 16-13603 ; Cass. Civ. 3 15 juin 2017, pourvoi 16-19640 ; Cass. Civ. 3 29 juin 2017 n°16-16637 ; 3èmeCiv. Cass. 14 septembre 2017, RG 16-17323 ; Cass. Civ 3 26 octobre 2017, RG 16-18210 ; Cass. Civ. 3 25 janvier 2018, n°16-100.50
[2]Cass. Civ. 3 28 février 1996, pourvoi 94-17154 et 94-18203, Bull. Cass. III n°57 p.38, note Malinvaud, RDI 1996, p.218, note JP Karila, RGAT 1996, p. 668
[3]Civ. 3 19 février 2002, n°00-13124 ; Cass. Civ. 3 2 juillet 2002, n°00-13313 ; Cass. Civ. 3 9 mai 2012, n°11-17426 ; Cass. Civ. 3 27 janvier 2015, 13-25514 ; Cass. Civ. 3 7 avril 2016, n°15-15 441 ; Cass. Civ. 3 10 décembre 2003, n°02-12.215; Cass. Civ. 3 10 décembre 2003, n°02-12215
[4]Des lames de bardages de loggias, dont l’une des fonctions était de limiter les entrées d’eau de pluie ; une fosse septique ; des gouttières ; un carrelage collé sur une terrasse ; une installation de chauffage par pompe à chaleur.
[5]Cass. Civ. 3 18 janvier 2006, n°04-17.888, Bull. Cass. III ; Cass. Civ.3 19 décembre 2006 n°05-20.543 ; Cass. CIv. 3 26 mai 2010 n°09-14.401 ; Cass. Civ. 3 26 novembre 2015 n°14-19835, Bull. Cass. III
[6]Cass. Civ. 3 10 décembre 2003, n°02-12215, note Malinvaud, RDI 2004, p. 193
[7]Pr Malinvaud Un climatiseur installé sur des existants n’est pas un ouvrage, ni un élément d’équipement RDI 2004 p.193
[8]Cass. CIv. 3 26 mai 2010 n°09-14.401
[9]Cass. Civ. 3 18 janvier 2006, pourvoi n°04-17.888, Bull. Cass. III ; Cass. Civ.3 19 décembre 2006 n°05-20.543 ; Cass. Civ. 3 26 novembre 2015 n°14-19835, Bull. Cass. III
[10]Cass. Civ. 3, 28 janvier 2009, 07-20.891, Publié au bulletin
[11]Cas. Civ. 3, 21 juin 2011, 10-23.932 ; Cass. Civ. 3 9 mai 2012, n°11-17.426
[12]Cass.Civ 3 26 octobre 2017, RG 16-18210, Bull. Cass. III
[13]Pr. Ausseur La responsabilité et l’assurance des travaux sur existants : point de vue pratique de l’assureur RDI 2000 p 497
[14]Cass. Civ 3 28 février 2018 n°17-13.478, Publié au Bulletin
[15]C. Charbonneau, L’avènement des quasi-ouvrage, RDI septembre 2017 409 ; J. Roussel Elément d’équipement dissociable installés sur existant et assurance, RDI septembre 2017 413 ; Ph. Malinvaud, Elément d’équipement dissociable inertes installés sur des existants et garantie décennale, RDI octobre 2017 483 ; Ph. Malinvaud Des désordres affectant les éléments d’équipement dissociables installés sur existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination, RDI novembre 2017 542 ; J-P Karila L’avenement contra legem d’un nouveau débiteur de la garantie décennale, la semaine juridique Edition générale n°40, 2 octobre 2017, 1018 ; J-P Karila D’office, la Cour de cassation persiste et signe, la semaine juridique Edition générale n°41, 9 octobre 2017, 1048
[16]Cass. 29 juin 2017 n°16-16.637
[17]Cass. Civ 3 28 février 2018 n°17-13.478, Publié au Bulletin
[18]Pr. Ausseur La responsabilité et l’assurance des travaux sur existants : point de vue pratique de l’assureur RDI 2000 p 497