QUID DE LA PRIMAUTE DE L’EXECUTION FORCEE EN DROIT DE LA CONSTRUCTION ?
Le premier alinéa de l’article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’Ordonnance du 10 février 2016, prévoyait que « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.»
C’est au visa de ce texte que la jurisprudence constante de la Cour de cassation a instauré le principe de la primauté de l’exécution forcée en droit de la construction, condamnant systématiquement les constructeurs à la démolition et reconstruction de l’ouvrage, dont l’altimétrie et l’implantation n’étaient pas conformes au permis de construire, et ceci tant avant, qu’après la réception, sans que l’exclusivité de la garantie décennale soit admise[1].
L’article 1221 du Code civil dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 10 février 2016 rompt avec la primauté de l’exécution forcée en droit de la construction en prévoyant que « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifesteentre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »
Ce texte exige que, pour tout contrat conclu postérieurement à la date de l’entrée en vigueur de l’Ordonnance du 10 février 2016, toute demande d’exécution forcée sera soumise au contrôle judiciaire de proportionnalité.
Dans son arrêt rendu le 12 avril 2018[2], la 3èmechambre de la Cour de cassation a été amenée à se pencher sur cette question à nouveau concernant un contrat conclu antérieurement à la réforme du droit des obligations.
En l’espèce, ayant constaté une erreur d’altimétrie de 40 centimètres, les maîtres d’ouvrage ont assigné les constructeurs et leurs assureurs pour obtenir la démolition et la reconstruction de l’immeuble litigieux et la réparation de leur préjudice.
Dans son arrêt rendu le 14 septembre 2017, la cour d’appel de Montpellier a jugé que « la non-conformité de la maison aux dispositions contractuelles et au permis de construire n’en affecte pas l’habitabilité ni la solidité, n’a pas empêché le maître d’ouvrage d’obtenir le certificat de conformité et n’a aucune conséquence sur l’usage de la maison, la pente rendue pour l’accès au garage et l’accès piétonnier ne causant pas à M. et Mme X … un préjudice important ».
Autrement dit, la Cour d’appel a appliqué en l’espèce le critère de la proportionnalité de la démolition sollicitée au regard de l’intérêt du créancier, tel qu’il a été instauré par les nouvelles dispositions de l’article 1221 du Code civil.
S’agissant d’un contrat conclu sous l’égide des anciennes dispositions, ce texte n’avait pas vocation à être appliqué.
Il n’est donc pas surprenant que l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier a fait l’objet d’une cassation au visa de l’ancien article 1184 du Code civil et au motif que « qu’en statuant ainsi, après avoir relevé que la maison était implantée avec un défaut d’altimétrie de quarante centimètres et sans constater que l’exécution en nature du contrat était impossible, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Cet arrêt non publié au bulletin confirme donc sans grande surprise le principe de la primauté de l’exécution forcée instaurée par l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation, au regard des contrats conclu antérieurement à l’Ordonnance du 10 février 2016.
Cependant, est-ce que la position de la Cour d’appel de Montpellier ayant appliqué les dispositions de l’Ordonnance de manière rétroactive était étonnante ?
En effet, l’Ordonnance du 10 février 2016 n’a vocation à s’appliquer qu’aux constats conclus postérieurement à sa date d’entrée en vigueur, à savoir le 1er octobre 2016 sauf application immédiate des nouveaux articles 1123, 1158 et 1183.
Toutefois, la Cour de cassation a admis qu’une loi ou une ordonnance nouvelle peut s’appliquer « aux effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées»[3].
Plus récemment, la Cour de cassation n’a pas hésité à appliquer le nouveau droit à des contrats conclus antérieurement au 1er octobre 2016 en invoquant «l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016»[4].
Sous l’égide de cette jurisprudence il n’était donc pas exclu que les juridictions s’inspirent des nouvelles dispositions de l’article 1221 du Code civil au regard des contrats conclus sous l’égide de la loi antérieure, comme l’a fait la Cour d’appel de Montpellier dans son arrêt du 14 septembre 2017.
Il convient de préciser que la loi de ratification n°2018-237 applicable aux contrats conclus à compter du 1eroctobre 2018 prévoit une nouvelle modification de l’article 1221 du Code civil.
Ce texte rajoute une nouvelle condition, à savoir sa bonne foi, permettant au débiteur de se prévaloir d’une disproportion manifeste afin d’échapper à l’obligation d’une exécution forcée en nature, en ces termes :
« Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier. »
Autrement dit, seul un débiteur de bonne foi pourra se prévaloir d’une disproportion manifeste susvisée pour les contrats conclus à compter du 1eroctobre 2018.
Ce texte modifie donc à nouveau le rapport de forces entre le constructeur et le maître d’ouvrage au profit de ce dernier.
Il reste à savoir comment se répartit la charge de la preuve entre ces deux contradicteurs.
L’article 2268 du Code civil prévoit que « La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »
La charge de la preuve d’une mauvaise foi d’un constructeur pèsera donc sur le maître d’ouvrage.
Sauf hypothèses exceptionnelles, une telle démonstration sera le plus souvent impossible.
En effet, dans la plupart des cas les erreurs d’altimétrie relèvent bien d’erreurs et non pas de l’intention de nuire de la part des constructeurs.
Cela étant, pour les contrats conclus à compter du 1eroctobre 2018, les maîtres d’ouvrage souhaitant d’obtenir l’exécution forcée en nature des obligations des constructeurs seront amenés de faire une démonstration:
- d’une mauvaise foi de ces derniers pour échapper au contrôle de la proportionnalité, ou
- de l’absence d’une disproportion manifeste entre leur intérêt et le coût pour le constructeur.
Les praticiens du droit de la construction resteront donc en attente d’une jurisprudence susceptible de les éclairer sur les critères de mise en œuvre de ces deux conditions.
En l’état, les deux conditions prévues par l’article 1221 du Code civil en sa dernière rédaction, par leur caractère subjectif et relevant nécessairement d’une appréciation souveraine des juges du fond, rendent la prévisibilité de la mise en œuvre d’une éventuelle exécution forcée en matière du droit de la construction impossible, sinon difficile.
Dans ce contexte, pour se prémunir contre cet aléa judiciaire aussi important, il pourrait être recommandé d’avoir un recours à une mécanique contractuelle et notamment de prévoir dans le contrat des hypothèses pour lesquelles une exécution forcée serait justifiée.
Il semble à cet égard possible de stipuler qu’en cas de défaut d’altimétrie et/ou d’implantation, l’ouvrage doit être remis en conformité avec le permis de construire, aux frais du constructeur.
Cela étant, il n’est pas exclu qu’en dépit d’une telle stipulation contractuelle les juges du fond exercent leur contrôle de proportionnalité et écartent comme l’a fait la Cour d’appel de Montpellier la possibilité de l’exécution forcée dans une simple hypothèse d’une violation des règles d’urbanisme dès lors qu’il est possible d’obtenir un certificat de conformité.
Il appartiendra donc aux praticiens du droit de la construction rester vigilants au regard des futures évolutions de la jurisprudence sur ce point.
Daria BELOVETSKAYA
AVOCAT AUX BARREAUX DE PARIS ET DE SAINT-PETERSBOURG
[1]Cass. 11 mai 2005 n°03.21-136 ; Cass. 6 mai 2009 n° 08-14.505 ; Cass. 17 septembre 2014 n°12-24.122, Cass. 16 juin 2015 n°14-14.612
[2]3èmeCiv. Cass. 12 avril 2018 n°17-26906 non publié au bulletin
[3]Avis n°15002 de la Cour de cassation du 16 février 2015 ; Cass. civ. 3ème 17 novembre 2016, n°15-24552
[4]Cass. civ. 1ère, 20 septembre 2017, n°16-12906 ; Cass. soc. 21 septembre 2017, n°16-20103