Clauses d’exclusion de solidarité : étendue et limites de leur application
Cass. 3èmeCiv., 14 février 2019, n°17-26.403
Dans son arrêt rendu le 14 février 2019[1], la 3èmechambre civile de la Cour de cassation aborde à nouveau la problématique liée à l’étendue de l’application des clauses d’exclusion de solidarité.
Il s’agit des clauses-types prévues dans les modèles de contrats élaborés par l’Ordre des architectes et mis à leur disposition au même titre que les clauses de conciliation préalable.
Celle qui a fait objet de l’arrêt commenté relève d’une des dernières rédactions de ce type de contrat et se rencontre encore souvent en pratique.
Avant d’aborder l’étendue (III) et les limites (II) de l’application de ces clauses, nous procèderons tout d’abord au rappel des faits de l’espèce (I).
- Rappel des faits et de la procédure
En l’espèce, en vue d’une édification d’un ouvrage, une SCCV a conclu un contrat de la maîtrise d’œuvre complète avec un cabinet d’architectes.
Au cours du chantier, des infiltrations en provenance des toitures terrasses et des balcons ont affecté des logements.
Le sinistre a été déclaré à l’assureur Dommage-Ouvrage, lequel après avoir indemnisé le maître d’ouvrage, s’est retourné à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs y compris le maître d’œuvre sur le fondement contractuel.
Ce dernier lui a opposé sa clause d’exclusion de solidarité libellée comme suit :
« L’architecte assume sa responsabilité professionnelle telle qu’elle est définie par les lois et règlements en vigueur, notamment les articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 2270 du code civil, dans les limites de la mission qui lui est confiée. Il ne peut donc être tenu responsable, de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actionsou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenantsdans l’opération faisant l’objet du présent contrat. L’architecte est assuré contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité professionnelle auprès de la compagnie et par le contrat désigné au CCP. Ce contrat est conforme aux obligations d’assurance prévues par les lois n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture et n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction. L’attestation d’assurance professionnelle de l’architecte est jointe au présent contrat »
Nonobstant cette clause, en première instance, le maître d’œuvre a été condamné in solidum avec le constructeur et le contrôleur technique.
Le maître d’œuvre a alors interjeté un appel à l’encontre de la décision rendue en mettant à nouveau en exergue la clause suscitée.
La Cour d’appel infirme le jugement intervenu, en considérant que la décision était prise en violation de la stipulation susvisée, dans la mesure où cette dernière comporte l’expression
«°en particulier°» permettant de considérer que l’exclusion visée ne se limite pas à la responsabilité solidaire mais qu’elle s’étend également à la responsabilité in solidum.
L’assureur DO forme donc un pourvoi en cassation en faisant valoir que la Cour d’appel aurait dénaturé la clause en question.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et valide l’interprétation de la clause telle qu’elle a été réalisée par la Cour d’appel.
- Étendue de l’application des clauses d’exclusion de solidarité
- Refus d’application des clauses d’exclusion de solidarité à la responsabilité in solidum
Il convient de rappeler à cet égard l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation[2]suivant laquelle une clause d’exclusion de solidarité n’empêchait pas la condamnation de l’architecte in solidum avec les autres intervenants, en ces termes :
« Mais attendu que, hors la dénaturation prétendue, l’arrêt relève exactement que le contrat d’architecte excluant la solidarité ne saurait avoir pour effet d’empêcher une condamnation in solidum entre l’architecte et les entrepreneurs ».
Cette approche permettait donc de déjouer en quelque sorte les clauses de solidarité.
Il convient de rappeler à cet égard qu’à la différence de la solidarité qui est prévue par les dispositions légales ou contractuelles[3], la responsabilité in solidum est purement prétorienne.
Sans quelconque disposition ou stipulation en ce sens, cette dernière est alors caractérisée automatiquement en présence de plusieurs fautes délictuelles[4]et[5]/ou contractuelles[6]à l’origine d’un seul et même dommage.
D’ailleurs, dans le secteur de la construction, la responsabilité in solidum de l’architecte avec les autres constructeurs est très courante[7].
Il suffit pour cela que la responsabilité de l’architecte soit recherchée au titre des désordres apparus en cours des travaux, c’est-à-dire avant la réception, comme cela est le cas dans l’arrêt commenté, soit au titre des désordres intermédiaires c’est-à-dire ne relevant pas par leur nature des garanties obligatoires, pour que la responsabilité in solidum soit caractérisée.
- Le caractère non-écrit des clauses limitant la responsabilité légale de l’architecte et des constructeurs
- Clauses de conciliation préalable
Les modalités de la mise en œuvre des clauses d’exclusion de solidarité sont similaires à celles des clauses de conciliation préalable devant l’Ordre.
Il est donc utile de rappeler la jurisprudence récente rendue en ce domaine.
Or, il a été jugé régulièrement[8]que ces clauses ne sont pas opposables au maître d’ouvrage dès lors que son recours à l’encontre du maître d’œuvre est fondé sur la garantie décennale :
« La clause de saisine de l’Ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur l’exécution du contrat, ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du Code civil et n’avait donc pas vocation à s’appliquerdès lors que la responsabilité de l’architecte était recherchée sur le fondement de l’article 1792 du Code civil. »
De même, l’existence d’une clause de conciliation préalable devant l’Ordre des architectes ne saurait avoir pour effet de faire échec à l’action directe du maître d’ouvrage exercée à l’encontre de l’assureurde la responsabilité civile de l’architecte sur le fondement des dispositions de l’article L 124-3 du Code des assurances[9].
Ainsi, l’ensemble des décisions rendues en application de cette clause concerne exclusivement la responsabilité contractuellede l’architecte[10].
A titre d’exemple, il s’agit de contentieux qui porte sur :
- un dépassement de coût, de retard, de malfaçon et de perte financière[11];
- le paiement d’une indemnité contractuelle de résiliation[12]
- une erreur sans désordre [13];
- la survenance des désordres avant la réception[14];
- tout autre manquement à son obligation de moyen ne générant pas de désordre de nature décennale.
Nous verrons ci-dessous que les mêmes principes régissent la mise en œuvre des clauses d’exclusion de solidarité.
- ) Clauses d’exclusion de solidarité
- Prohibition par les articles 1792-5 du Code civil et L111-20-1 du Code de la construction et de l’habitation
Les clauses d’exclusion de solidarité est une variante des clauses limitatives de responsabilité.
En ce sens, elles n’ont pas vocation à jouer en présence des garanties obligatoires prévues par les articles 1792 et suivants du Code civil.
En effet, toute clause ayant pour objet de limiter la responsabilité prévue par les articles 1792 et suivants du Code civil est prohibée par les dispositions de l’article 1792-5 du Code civil ainsi que l’article L111-20-1 du Code de la construction et de l’habitation.
Il en résulte une dichotomie jurisprudentielle suivant laquelle, à chaque validation d’une telle clause, les juridictions rappellent qu’elle aurait été considérée comme non-écrite s’il s’agissait de la responsabilité obligatoire.
Tel est notamment le cas de l’arrêt rendu le 22 décembre 2016[15] par la Cour d’appel de Montpellier en ces termes :
« Si au terme de l'article L 111-20-1 du Code de la construction et de l'habitation la clause ayant pour objet de limiter la responsabilité légale de l'architecte est réputée non-écrite, en revanche une telle clause est licite dans le cadre d'une responsabilité contractuelle pour défaut de respect par l'architecte de son obligation de moyens comme tel est le cas en l'espèce. »
D’autres décisions se contentent de relever le caractère contractuel de la responsabilité en jeu[16].
C’est ainsi que dans son arrêt rendu le 10 novembre 2016[17], la Cour d’appel de Montpellier le précise spécifiquement en ces termes :
« Cette clause, invoquée par la société LCA dans un litige où le maître d'ouvrage recherche sa responsabilité contractuelle avant réception, ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment des époux X..., non professionnels, en interdisant à ces derniers de faire peser sur l'architecte les conséquences d'une responsabilité solidaire ou in solidumavec les autres intervenantsdès lors qu'elle ne limite pas la responsabilité de l'architecte qui doit répondre de toutes les fautes commises dans le cadre de sa mission et qu'elle ne prive pas les époux X... du droit d'obtenir la réparation intégrale des dommages imputables à ce constructeur contrairement à ce que soutiennent à tort les appelants. »
La prohibition d’une telle stipulation dans les contrats de la construction et de la maîtrise d’œuvre en ce qui concerne la mise en œuvre des garanties obligatoires implique également leur contrariété aux clauses-types prévues par l’article A243-1 du Code des assurances.
- Caractère contraire aux clauses-types prévues par l’article A243-1 du Code des assurances
Au vu de ce qui précède, toute éventuelle limitation de garantie de la part de l’assureur aux conséquences des fautes professionnelles de son assuré serait manifestement contraire aux clauses-types prévues par l’article A243-1 du Code des assurances.
Il a été ainsi jugé dans un arrêt rendu le 4 février 2016[18] que viole les articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du Code des assurances une Cour d'appel qui décide qu'un désordre n'est pas pris en charge par l'assureur, alors qu'elle avait constaté que ce désordre rendait l'ouvrage impropre à sa destination et alors que « la clause limitant la garantie aux seuls dommages affectant la structure de l'ouvrage faisait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et devait, par suite, être réputée non-écrite ».
Ainsi lorsque la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement des garanties obligatoires au sens des articles 1792 et suivants du Code civil, une clause d’exclusion de solidarité ne saurait être valablement opposée, ni par le maître d’œuvre, ni par son assureur.
* * *
Deux conséquences en résultent.
D’une part, il est acquis qu’une clause d’exclusion de solidarité ne saurait être appliquée que dans l’hypothèse où seule la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre est recherchée.
De ce point de vue, une clause libellée telle que cela est le cas dans l’arrêt commenté, ne devrait-elle pas être considérée non-écrite et écartée des débats sans aucune interprétation possible ?
Rappelons en effet qu’en l’espèce, cette clause excluait expressément la solidarité prévue par les dispositions des articles 1792 et suivants du Code civil.
Tel n’est pas l’approche de la 3èmechambre civile de la Cour de cassation et des juges du fond, lesquels se contentent comme cela a été rappelé ci-dessous de l’écarter uniquement dans l’hypothèse des désordres de nature décennale.
De l’autre côté, si les clauses d’exclusion de solidarité ne pouvaient pas exclure la responsabilité in solidum des maîtres d’œuvre, elles n’auraient plus d’intérêt en pratique, puisque :
- la solidarité légale découlant des dispositions des articles 1792 et suivants est d’ordre public,
- et il est peu probable qu’un maître d’œuvre accepte une solidarité contractuelle tout en l’excluant par ailleurs.
C’est donc la raison pour laquelle les maîtres d’œuvre ont tenté d’élargir le champ d’application de cette clause à leur responsabilité in solidum.
- Extension de champ d’application des clauses d’exclusion de solidarité
En présence des clauses excluant clairement la responsabilité in solidum des architectes, les juridictions étaient enclines à les faire valider.
C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 19 mars 2013[19], la Cour de Cassation a jugé que :
« Vu les articles 1134, 1147 et 1150 du Code civil ;
Attendu que pour condamner M. X... et la MAF, solidairement avec les sociétés Cimba et Qualiconsult, à garantir la SCI du montant des condamnations prononcées à son encontre, l'arrêt retient que la clause d'exclusion de solidarité figurant dans le contrat de l'architecte ne peut pas s'opposer à la condamnation de celui-ci à réparer les entiers dommages, dans la mesure où il ressort du rapport d'expertise, que chacune des fautes reprochées a également contribué à la réalisation des entiers dommages ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le juge est tenu de respecter les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidumd'un constructeur à raison des dommages imputables à d'autres intervenants, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Autrement dit, en l’espèce, la Cour de cassation a sanctionné la Cour d’appel réticente à faire appliquer la clause susvisée à la responsabilité in solidumau regard de son origine prétorienne.
Il en était de même dans l’arrêt plus récent rendu le 8 février 2018[20] par la 3èmechambre civile de la Cour de cassation en ces termes :
« Mais attendu qu'ayant constaté que le contrat de maîtrise d'œuvre stipulait que le maître d'œuvre n'assumerait les responsabilités professionnelles que dans la mesure de ses fautes professionnelles, ne pouvant être tenu responsable, ni solidairement, ni in solidum, des fautes commises par d'autres intervenants, et retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes de la clause litigieuse rendait nécessaire, que cette clause était licite au titre d'une responsabilité contractuellepour défaut de respect par l'architecte de son obligation de moyens, la Cour d'appel, qui a relevé que, l'EURL n'ayant pas délivré au titulaire du lot VRD l'ordre de service précisant les modalités d'exécution de sa prestation, il lui appartenait, au titre de sa mission de contrôle, de réagir en demandant à l'entreprise d'arrêter ces travaux prématurés, que l'architecte n'avait eu aucune réaction ainsi qu'en témoignaient les procès-verbaux de chantier et n'avait adressé aucune mise en demeure dans ce sens à l'entreprise, a pu en déduire que sa responsabilité contractuelle devait être retenue à hauteur de vingt pour cent ».
Il s’agissait alors pour les juridictions saisies d’appliquer strictement la loi du contrat.
Dans l’arrêt commenté du 14 février dernier, tant la cour d’appel que la 3èmechambre civile de la Cour de cassation se sont vues livrées à la nécessité d’interpréter le contrat dont la clause était manifestement imprécise.
- Interprétation extensive de la clause litigieuse
Pour revenir aux termes de l’arrêt commenté[21], il s’agissait en l’espèce des désordres apparus en cours des travaux. Par conséquent, la responsabilité des constructeurs et maîtres d’œuvre ne pouvait être recherchée sur le fondement des garanties obligatoires, mais uniquement sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
En l’absence des dispositions légales ou contractuelles, leur responsabilité in solidum avait donc vocation à être retenue en l’espèce.
Pour échapper à la théorie prétorienne de la responsabilité in solidum, le maître d’œuvre a donc opposé à l’assureur DO sa clause d’exclusion de solidarité.
En dépit des protestations de l’assureur DO, tant la Cour d’appel que la 3èmechambre civile de la Cour de cassation, ont estimé que cette clause avait vocation à exclure la solidarité dans l’hypothèse de la responsabilité in solidum du maître d’œuvre, dans la mesure où elle était libellée de manière non-exhaustive, en ces termes :
« Mais attendu qu’ayant retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’imprécision des termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, intitulée “Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte”, rendait nécessaire, que l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne visait “qu’en particulier”, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum ».
En effet, dans l’arrêt commenté, la clause d’exclusion de solidarité ne portait pas expressément sur la responsabilité in solidum.
Pour rappel, elle stipulait notamment que l’architecte «ne peut donc être tenu responsable, de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat (…) ».
Outre le fait que la première partie de cette clause semble être manifestement contraire à l’ordre public, en ce qu’elle prévoyait clairement l’exclusion de solidarité au regard des garanties obligatoires, elle ne visait pas expressément la responsabilité in solidum du maître d’œuvre.
Cependant, et contrairement aux dispositions de l’ancien article 1162 devenu 1190 du Code civil, selon lequel « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé», la Cour d’appel et la 3èmechambre civile de la Cour de cassation se sont livrées à l’interprétation extensive de cette clause en acceptant son application à la responsabilité in solidum.
Rendu sous l’égide des dispositions antérieures à celles entrées en vigueur en vertu de l’ordonnance n° 2016-131, cet arrêt témoigne de l’attachement de la Haute juridiction à la force obligatoire du contrat.
Cette approche peut être sensiblement modifiée par de nouvelles dispositions du Code civil entrées en vigueur respectivement le 1eroctobre 2016[22] et ensuite le 1eroctobre 2018[23], en ce que ces dernières prévoient les dispositions spécifiques relatives à :
- Un déséquilibre significatif[24] dans les contrats d’adhésion, lesquels sont désormais définis comme les contrats dont l’ensemble des dispositions ont été soustraites à la négociation ;
- Les règles d’interprétation d’un contrat d’adhésion contre celui qui l’a stipulé[25];
- La notion des clauses abusives[26], lesquelles privent de sa substance l'obligation essentielle du débiteur.
Dans l’ensemble de ces hypothèses, une clause d’exclusion de solidarité pourrait être réputée non-écrite et cela d’autant plus qu’elle est prévue dans les conditions générales d’un contrat type rédigé par l’Ordre professionnel, dont l’ensemble des dispositions sont soustraites à la négociation (sous réserve de toute jurisprudence ultérieure sur ce point).
Pour illustrer les éventuelles conséquences de l’application des dispositions susvisées, il peut être utile de rappeler la jurisprudence rendue sous l’égide des anciennes dispositions du Code civil, en matière des clauses limitatives de responsabilité prévues dans les contrats des contrôleurs techniques.
C’est ainsi que dans son arrêt rendu le 23 octobre 2014[27], la Cour d’appel de Montpellier a annulé la clause limitative de responsabilité prévue dans le contrat conclu avec un contrôleur technique sur le fondement de l’article L132-1 du Code de la consommation en considérant que le maître d’ouvrage n’était pas professionnel en construction en dépit de sa qualité de professionnel de l’immobilier.
Sur le même fondement, dans son arrêt rendu le 4 février 2016[28], la 3èmechambre civile de la Cour de cassation a jugé ce type de clause non-écrit au motif qu’elle aurait créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en ces termes :
« Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu, à bon droit, que la clause ayant pour objet de fixer, une fois la faute contractuelle de la société Qualiconsult établie, le maximum de dommages-intérêts que le maître d'ouvrage pourrait recevoir en fonction des honoraires perçus, s'analysait en une clause de plafonnement d'indemnisation et, contredisant la portée de l'obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soient les incidences de ses fautes, constituait une clause abusive, qui devait être déclarée nulle et de nul effet, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ».
Ainsi, si même jusqu’à présent les clauses d’exception de solidarité ont été mieux accueillies par la jurisprudence que les clauses limitatives de responsabilité prévues dans les contrats du contrôleur technique, et cela en dépit de leur nature similaire, il n’est pas impossible que sous l’égide des nouvelles dispositions du Code civil[29]le rapport de force bascule à nouveau et la validité de ces stipulations puisse être remise en cause.
- Limites d’application des clauses d’exclusion de solidarité
En résumé, en dépit de la validité des clauses d’exclusion de solidarité largement admises dans le domaine de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre, il convient de garder à l’esprit que celles-ci doivent être en principe écartées dès lors qu’il s’agit de la mise en œuvre de la responsabilité décennale de ces derniers.
De plus, il convient de rester vigilant quant à leur caractère abusif ou éventuellement susceptible de créer un déséquilibre significatif dans les relations entre les parties, et cela d’autant plus dès lors que le contrat est conclu sous l’égide des nouvelles dispositions du Code civil.
Enfin, une telle clause peut être mise simplement en échec par une action entre les coobligés.
En effet, un maître d’œuvre ne saurait l’opposer aux autres constructeurs et intervenants sur le chantier avec lesquels il n’a pas de rapport contractuel, de sorte que ces derniers pourront valablement solliciter sa condamnation in solidum avec les autres parties au titre d’un éventuel appel en garantie.
L’ensemble de ces réserves doit être notamment tenu à l’esprit par les maîtres d’œuvre qui utilisent les modèles des contrats élaborés par leur Ordre, encouragé pour le faire par la jurisprudence récente de la Cour de cassation et les juges du fond.
Il en est de même en ce qui concerne leurs cocontractants et interlocuteurs, lesquels ne doivent pas se laisser impressionner par le caractère général de ces stipulations.
Enfin, les praticiens resteront naturellement vigilants au regard de toute éventuelle évolution jurisprudentielle sur ce point, notamment en ce qui concerne l’interprétation des clauses conclues sous l’égide des nouvelles dispositions du Code civil.
Daria BELOVETSKAYA
AVOCAT AUX BARREAUX DE PARIS ET DE SAINT-PETERSBOURG
[1]Cass. 3èmeCiv., 14 février 2019, n°17-26.403
[2]Civ. 3e, 18 juin 1980, n° 78-16.096
[3]Anciens articles 1197 et 1202 devenus respectivement 1311 et 1310 du Code civil
[4]Com. 4 mars 1997, no 95-10.756
[5]Civ. 3e, 5 déc. 1972, no 71-13.818
[6]Civ. 1re, 1er juin 1976, n° 75-11.611
[7]Civ. 3e, 3 juill. 1996, nos 94-16.827 ;Civ. 3e, 14 sept. 2005, no 04-10.241 ;Civ. 3e, 7 juill. 2015, no 14-17.115 ;Civ. 3e, 7 mai 1997, no 95-17.245
[8]Cass, 3ème civ, 9 octobre 2007, n° 06-16.404
Cass, 3ème civ, 23 mai 2007, n° 06-15.668
Cass, 3ème civ, 4 novembre 2004, n° 03-13.002
[9]Cass, 3ème civ, 18 décembre 2013, n° 12-18.439
[10]CA Montpellier 7 novembre 2013 n°11/05417 ; TGI Paris 23 septembre 2016 n°14/02262
[11]L’arrêt rendu le 16 juin 2016 (40-16.309)
[12]L’arrêt rendu le 19 mai 2016 (15-14.464)
[13]L’arrêt rendu le 12 décembre 2014 (13-19.684)
[14]CA Paris, 12 mai 2017, n°15/16869
[15]CA Montpellier 22 décembre 2016, RG 13/08503
[16]CA Bordeaux, 8 octobre 2015, nº 13/06176 ; CA Aix-en-Provence, 24 septembre 2015, nº 14/14258 ;
CA Montpellier, 10 novembre 2016, n°13/09115
[17]CA Montpellier, 10 novembre 2016, n°13/09115
[18]Cass. 3èmeCiv. 4 février 2016, n°14-29.790 ; n°15-12.128
[19]Cass. Civ. 3ème, 19 mars 2013, n°11-25.266
[20]Cass. Civ.3ème, 8 février 2018, n°17-13.596
[21]Cass. 3èmeCiv., 14 février 2019, n°17-26.403
[22]Ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur au 1eroctobre 2016
[23]Loi de ratification n°2018-237
[24]Article 1171 du Code civil dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 10 février 2016
[25]Article 1190 du Code civil dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 10 février 2016
[26]Article 1170 du Code civil dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 10 février 2016
[27]CA Montpellier 23 octobre 2014 n °13/04143
[28]Cass. 3èmeciv. 4 février 2016, n°14-29.347
[29]Issues de l’Ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur au 1eroctobre 2016 et de la loi de ratification n°2018-237, laquelle entre en vigueur à compter du 1eroctobre 2018